Bonjour! Voici un article tiré du journal montréalais 'Le Devoir' paru hier.... Trop mignon comme histoire d'amour.... Un petit spécial pour la St-Valentin...
Les fiancés de la dernière chance
Il a 89 ans, elle 84, et ils se fianceront demain... 66 ans après une première tentative.
Quand elle a rompu ses fiançailles avec Marcel Girouard, au début 1943, Rita Aucoin pensait bien que cette histoire d'amour était terminée. C'était sans compter sur la persévérance d'un homme qui est revenu frapper à sa porte six décennies plus tard.
C'est au fond l'histoire d'un vieux conquérant, battant de coeur à l'espoir vissé dans le regard. L'histoire d'un homme de 89 ans qui prolonge un peu la vie en allant sonner chez son premier amour pour lui dire: «Tu sais, Rita, je ne t'ai jamais oubliée.» Simplement.
Le 12 novembre dernier, Rita Aucoin, 84 ans, attendait sa femme de ménage dans son appartement de Saint-Hyacinthe. La surprise fut complète quand elle a plutôt entendu la voix de Marcel Girouard dans l'interphone. «Il m'a juste dit: "C'est Marcel"», raconte-t-elle.
Assise dans l'un des divans de son salon, mercredi, la vieille dame marque une pause. Puis elle poursuit avec vigueur: «J'ai dit: quoi, on se connaît-tu? Il m'a dit qu'on était déjà sorti ensemble. Ah ben là... j'ai sorti avec rien qu'un Marcel, pis on avait été fiancés. Ça pouvait juste être lui, alors je lui ai dit de monter.» Bingo.
Les deux ne s'étaient pas vus depuis... 66 ans. Une vie entière. Chacun deux mariages, trois enfants, le temps qui passe, caresse, blesse, fait rire et pleurer. Le temps qui glisse et creuse des rides profondes sur le visage, sillons de l'âge. Mais 66 ans et l'envie d'y croire encore.
M. Girouard est donc monté, «et ça a pris». Tellement que demain, jour de la Saint-Valentin, trois mois après leurs retrouvailles, le «jeune» couple s'échangera des bagues de fiançailles. La petite boîte de velours vert est prête. En l'ouvrant pour montrer les alliances, les deux octogénaires rigolent franchement. «C'est quand même rare, notre affaire...», pousse Marcel Girouard, ses 89 ans plantés droit sur pied, les yeux moqueurs et allumés.
Rare? Un truc pour scénariste. Un destin pour écrivain. Une centaine de Québécois de plus de 80 ans se sont bien mariés en 2007, mais on peut parier que les fiancés de la dernière chance ont un récit aussi insolite est unique.
On résume: le 17 février 1940 -- la mémoire de Rita Aucoin semble chirurgicale --, Mme Aucoin rencontre M. Girouard. Elle a 15 ans, lui 19. La Deuxième Guerre mondiale fait rage en Europe. À Saint-Hyacinthe, ils tombent amoureux et se fiancent le jour de Noël 1942. Les photos de l'époque les montrent un peu figés devant la caméra, des costumes sans un pli de travers.
Mais il y a un hic: Rita Aucoin n'est pas sûre de son choix. «J'étais trop jeune pour me marier, dit-elle. J'étais le seul revenu de mes parents, pis on dirait que ça me coûtait de me marier.» Après quelques visites à l'église pour que «le Saint-Esprit [l]'éclaire», elle décide de rompre les fiançailles. «Marcel s'en allait dans l'armée, je ne sais pas, j'avais pas trop confiance», explique-t-elle.
Et l'affaire ne l'a pas ébranlée outre mesure, avoue Mme Aucoin. «J'ai vendu ma bague de fiançailles pas longtemps après, et je ne peux pas dire que j'ai eu une grosse peine d'amour. Non. Je l'avais un peu oublié, en fait. Pour moi, c'était fini, il avait fait sa vie et moi la mienne, et c'était correct comme ça.»
En secret
Mais ce premier amour a marqué Marcel Girouard au fer. L'homme n'a pour ainsi dire jamais oublié la bien-aimée de ses 20 ans. Ce qui ne l'a pas empêché de faire sa vie, carrière comme policier, deux mariages, les enfants, les voyages, tout ça. Mais le visage de Rita Aucoin refusait de s'effacer de sa mémoire.
Après le décès de son épouse, à l'automne dernier, il a décidé de tenter de boucler la boucle. «Je suis venu voir Rita parce qu'elle est toujours restée dans ma vie. C'était comme un rêve, j'ai tout le temps pensé à elle. C'était ma flamme. Alors je me suis dit qu'il fallait que je vienne la voir.»
D'une manière ou d'une autre, M. Girouard a toujours su où Rita Aucoin habitait. Pas question de l'appeler, mais il se tenait informé. Un admirateur secret qui opère sans malveillance. Juste au cas où, un jour, il aurait l'occasion de lui parler en toute liberté. Comme ce 12 novembre 2008 où deux veufs se sont retrouvés face à face, avec encore l'envie d'aimer.
Alors donc: il est entré chez Mme Aucoin, ils ont parlé et ri. Puis, sans beaucoup plus de temps, ils ont décidé qu'ils termineraient leurs jours ensemble. «À notre âge, il faut faire vite», dit-elle. Lui ajoute qu'ils se sont «retrouvés naturellement».
Dans l'appartement de Mme Aucoin, les deux vieux s'amusent et se taquinent en cet après-midi de temps doux. La passion pour le moins intense de Mme Aucoin pour les décorations en forme de coeur ajoute à l'atmosphère toute «valentinesque».
«Notre amour avait été un feu de paille, dit la fiancée, mais on dirait qu'il restait de la braise. Et là, le feu a repris.» Lui se souvient qu'aux «premières fiançailles, il y avait deux coeurs avec un diamant dans le milieu, pis là c'est encore des coeurs... On est tous les deux là-dedans, les coeurs et l'amour, et on aime ça.»
S'aimer si vieux
Forcément, on se demande un peu comment c'est, se retrouver après si longtemps. Se sont-ils reconnus? «Dans le rue, je ne pense pas qu'on aurait su», disent-ils tous les deux. «Mais j'ai reconnu sa voix, les traits de son visage», avance M. Girouard. «Reste qu'on a vieilli un peu, depuis le temps.»
Ils sont «plus sérieux», dit-il. Conscients qu'aux derniers milles de la vie, on ne cherche plus la même chose d'une relation amoureuse. Dans leur cas, on comprend qu'il y a beaucoup de l'importance de ne pas être seul.
«Vu notre âge, on a besoin de quelqu'un, confirme Marcel Girouard. Si un de nous tombe malade, on peut s'entraider. Et franchement, c'est merveilleux de voir qu'on peut s'aider l'un et l'autre, et faire une belle vie ensemble.»
Elle ajoute: «Moi, toute seule ici, j'avais un peu l'impression d'attendre la mort. Je m'ennuyais. Là, j'ai quelqu'un près de moi... Et on rit toujours, c'est pas croyable comme ça fait du bien.»
Ils se sont promis de prendre soin l'un de l'autre. Pour le reste, c'est un jour à la fois. «Le goût d'aimer, ça ne passe pas. Il n'y a pas d'âge pour ça», dit Mme Aucoin.
Son fiancé approuve. «On ne pense pas à ça [mourir]. On pense à nos vies, aux petits malaises qu'on peut avoir. On sait qu'on n'en a plus pour très longtemps, mais on a encore le coeur jeune. On s'aime et c'est ça qu'est la vie. On oublie bien des affaires comme ça.»
Demain, le vieux conquérant verra sa longue attente récompensée. Il passera, 66 ans plus tard, la bague au doigt de l'amour de ses 20 ans. Leurs corps ont changé, le monde n'est plus le même. Mme Aucoin aurait pu ne pas ouvrir la porte le 12 novembre. M. Girouard aurait pu se dire qu'à 89 ans... La vie aurait pu les amener à cent lieues l'un de l'autre. Mais voilà: au générique, elle les rassemble. Simplement.
Sam 14 Fév - 14:17
