Un conte si simple
- Je te hais, dit la femme.
- Non, tu m’aimes, tu le sais, je le sais mais tu ne peux t’y résoudre, rétorqua l’homme.
Assis tous deux sur la berge d’un fleuve heureux d’être élément liquide, ils échangeaient des volées de mots pour leur éternité magique ; ils s’enfonçaient chacun à l’intérieur du cerveau de l’autre, peut-être pour comprendre, peut-être pour se voir vivre.
Le soleil pesant leur assurait un horizon bleuté, une faveur inexplicable. Deux âmes se répondant, un fleuve imposant sa présence, un soleil trop chargé de convulsions. Le point de départ d’un passeport pour une tranche de vie. La dernière pour eux. La femme était condamnée, l’homme ne pouvait plus pleurer.
- Tu ne sais rien de mon éventuel amour ou de ma haine qui trépigne dans mes intestins, continua-t-elle.
- Ce n’est pas la haine, c’est beaucoup plus subtil. L’envie de continuer d’être une femme, de savoir où prendre le temps de digérer les émotions une par une. Tu prends la globalité d’un sentiment immédiat d’une manière trop instinctive. La haine n’existe pas pour toi, ne peut pas exister. Seule la façon d’exprimer des instants se confond avec l’utilité que tu en fais. Nous sommes là par hasard ; par une incroyable chaîne de molécules qui nous tord et nous distord. Je refuserai toujours le néant et l’injustice. »
Ils ne se marièrent pas, n’eurent pas d’enfants. La femme mourut vite, la plupart du temps en silence.